IATSE 514 : 10 ans à la défense des techniciens et à la promotion de Montréal
Lancé officiellement en 2005, IATSE 514 est né du désir d’un petit groupe de techniciens, essentiellement des chefs de département, qui travaillaient majoritairement pour des productions américaines et qui se sont rendu compte qu’il y avait de moins en moins de tournages américains à Montréal. Michel Charron, directeur général du syndicat, était de ce groupe. Dix ans plus tard, ce preneur de son de métier porte toujours le flambeau et parle de IATSE 514 avec fougue. Qui fait Quoi l’a rencontré pour faire le point sur ces dix dernières années.
L’histoire des relations de travail des techniciens et techniciennes en cinéma et en télévision a connu son lot de fusions et de défusions depuis les années 1960. Du Syndicat général du cinéma et de la télévision (SGCT) dans les années 1960, en passant par le Syndicat national du cinéma (SNC) et l’Association professionnelle du cinéma du Québec (APCQ) dans les années 1970, puis le Syndicat des techniciens du cinéma du Québec (STCQ) la décennie suivante, qui deviendra le Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ), l’Association professionnelle de la vidéo du Québec (APVQ) quelques années plus tard, jusqu’à l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS) en 2004 et IATSE 514 en 2005, les alliances, les grincements de dents et les positions bien campées ont été légion. « À cette époque, nous voyions de moins en moins de tournages américains et nous n’étions pas tous très satisfaits de l’AQTIS, raconte Michel Charron. Notre idée était de séparer le cinéma et la télévision et de nous attacher à un syndicat international afin de créer un momentum de stabilité. Nous n’avions rien à perdre, alors nous avons appelé les gens de IATSE à Toronto. Nous avons eu une douzaine de rencontres avec eux et nous nous sommes mis d’accord. »
Pour mieux comprendre la raison ayant poussé les techniciens à se tourner vers une organisation internationale, il faut savoir que IATSE fondée à New York en 1893, qui signifie International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States (and its territories) and of Canada, comprend trois grandes familles : la scène, les salons professionnels et le cinéma.
En 1987 était adoptée, au Québec la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (Loi S 32.1). Or, celle-ci n’encadrait que les conditions des artistes en général. Du côté des techniciens, elle ne reconnaissait que 16 métiers, alors qu’on compte une centaine de métiers exercés. Dans les négociations avec l’APFTQ (aujourd’hui AQPM), seuls ces 16 postes étaient représentés. Les techniciens se sont rendus à la Commission des relations du travail. Avec l’adoption de la Loi 32, qui vient s’imbriquer dans la Loi S 32, on reconnaît que toute personne qui travaille dans la culture a droit à une représentation.
Depuis les tout débuts, IATSE 514 est affiliée à la FTQ, afin de se donner un levier représentatif auprès du gouvernement québécois. « Notre plan était que tous les travailleurs aient du boulot à l’année, souligne le directeur général. Pour se faire, nous devions attirer des productions américaines. Jusqu’à l’adoption de la Loi 32, nous avons dû nous battre, sous la tutelle de la FTQ.» Aujourd’hui, IATSE 514 et IATSE 667 sont reconnues pour les productions des huit grands studios américains et de leurs compagnies affiliées, ainsi que pour les productions américaines tournées par des indépendants dont le budget est supérieur à 31 millions $ (35 millions $ depuis 2012). De son côté, l’AQTIS est reconnue pour les autres productions, soit les films étrangers autres qu’américains, les tournages domestiques ainsi que pour les productions américaines tournées par des indépendants ayant un budget inférieur à 31 millions $ (35 millions $ depuis 2012). En fait, l’industrie se découpe en quatre secteurs : le premier pour les productions locales (Québec, Canada et coproductions sans producteurs américains) qui relèvent de l’AQTIS, le deuxième pour les productions américaines qui relèvent de l’AMPT ; le troisième, pour les productions américaines indépendantes de moins de 35 millions $ qui reviennent à l’AQTIS, et le dernier, pour les productions indépendantes de plus de 35 millions $ avec IATSE.
En 2004, IATSE 514 a obtenu qu’il n’y ait pas de maraudage entre les différentes associations syndicales. « Nous voulions donner l’image que Montréal était un endroit stable, note Michel Charron. À l’époque, les Américains venaient ici, mais seulement lorsqu’ils ne pouvaient pas aller ailleurs. En 2005, 35 villes dans le monde offraient des services pour l’accueil de production, elles sont aujourd’hui 150. Dorénavant, Montréal se trouve sur le radar pour les tournages live action. Nous devons donc créer un climat de confiance. Cela collabore au succès de Montréal. Nous voulons faire en sorte d’être 100% approuvé. Ça s’en vient, même si quelques irritants persistent ». La prochaine échéance pour le maraudage sera en 2019. Le directeur général se félicite également de la conclusion d’ententes de réciprocité, qui permettent une meilleure couverture en matière d’assurances. Le membership s’élève aujourd’hui d’environ 1 200 à 1 500.
Le syndicat montréalais est le seul de toute la famille IATSE qui a eu le droit de choisir son numéro, ce dont Michel Charron se montre très fier, car ce numéro demeure très symbolique. Lorsque les équipes américaines téléphonent, ils reconnaissent tout de suite le 514 et l’identifie à la métropole québécoise. Preneur de son de métier, partenaire du Studio Modulations, il accepte de prendre le poste de directeur général en juillet 2006, alors que IATSE 514 se cherchait ce que les Américains appellent un « businessagent », lapersonneresponsabledefairele suivi. Ces postes de« business agent » s’avèrent hyper stratégiques et 90% d’entre eux viennent directement du terrain, car ils connaissent les mécaniques du milieu. Grâce à son expérience chez Modulations, la gestion de personnel ne lui faisait pas peur. En 2013, il reçoit le Prix du Président international d’IATSE lors du dernier Congrès quadriennal, en reconnaissance « du dévouement exceptionnel dont il fait preuve à l’égard de son travail, de son syndicat et de ses confrères et consoeurs ». Modeste, il affirme qu’il doit ce prix à toute son équipe. « Il n’y en a pas eu de facile pour le 514, encore aujourd’hui, des gens me considèrent comme un traître à la nation, dit-il. Mais, nous avons un conseil de direction formidable et nous avons le soutien du conseil et de tous les membres. »
Signe que l’industrie de la production fonctionne bien au Québec, la masse salariale ne cesse d’augmenter depuis 2009, passant de 5,3 millions $ cette année- là, à 15 millions $ en 2010, à 19,5 millions $ en 2011, à 38,8 millions $ en 2012. Les années 2013 et 2014 ont connu des baisses, avec respectivement 35,3 millions $ et 20 millions $. Toutefois, 2015 s’annonce prometteuse. En six mois à peine, la masse salariale représente 23,1 millions $, grâce à des productions telles qu’ « Abbaka », « Helix » saison 2, « The Art of More », « Sold » saison 2 et encore « Story of your Life ». « Notre rôle est d’offrir aux travailleurs les meilleures conditions de travail, les meilleurs salaires, mais nous devons également faire en sorte que les employeurs reviennent. Oui, on trouve de bons restos à Montréal, oui, le crédit d’impôt existe, mais surtout, nous avons les meilleurs travailleurs et travailleuses », conclut Michel Charron.
La santé et la sécurité avant tout
Chez IATSE 514, on ne rigole pas avec la santé et la sécurité. Depuis le premier tournage portant l’empreinte du 514, soit « Spiderwick Chronicles » en 2006, l’organisation a développé des formations de pointe variées. Il faut dire que, au Québec, la Loi sur les compétences est hyper spécifique. Les employeurs dont la masse salariale est supérieure à deux millions (depuis le dernier budget Couillard, alors qu’elle devait être supérieure à un million depuis son instauration en 1995) se doivent d’offrir de la formation. L’organisation a donc ouvert son propre centre. Depuis janvier 2015, elle a offert 506 certifications.
Sophie Bernard pour Qui Fait Quoi